Il n'y a pas d'amour heureux

Publié le par Michèle Castelli

Ce vers, titre  et refrain d’un célèbre poème d’Aragon, mis en musique et chanté par Georges Brassens, trois auteurs : l’Américain Richard Russo, l’Irlandaise Kate O’Riordan et la Japonaise Yoko Ogawa, auraient aussi pu le choisir comme sous-titre de leurs derniers romans. Dans chacun de ces livres, le passé, les amis, le temps qui court et sépare, l’éloignement géographique, la création artistique mise en abyme, jouent leur partition dans un hymne à l’amour dans tous ses états.


Les sortilèges du Cap Cod


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Richard Russo a longtemps enseigné la littérature. Dans ce dernier roman, le personnage principal, Jack Griffin, est lui aussi professeur dans une université du Connecticut et fils d’enseignants. C’est dire si ce milieu est bien décrit et très présent dans l’histoire. Trop d’ailleurs pour Jack qui a du mal à y échapper. Ses copies d’étudiants le submergent et ses cours le lassent, lui qui a, jadis, mené la vie de bohème d’un scénariste à Los Angeles. Il est marié à Joy et ils ont une fille, Laura, étudiante. Tout va bien, en apparence, mais tout va déraper en deux parties, correspondant à deux mariages à un an d’intervalle. Joy et Jack sont d’abord invités au mariage d’une amie de leur fille, au Cap Cod. Après la fête, ils doivent se rendre à Truro où ils ont passé leur lune de miel et se sont promis un avenir conforme à leurs désirs. Mais, lors de cette confrontation au passé, celui-ci ressurgit et perturbe le présent. L’appel d’un ami scénariste resté à Los Angeles, amoureux et secrètement aimé de Joy,  l’influence des couples parentaux, snobs, aigris et désunis pour Jack, clan envahissant pour Joy, sont des facteurs déclenchants :  Joy repart pour le Connecticut et Jack pour Los Angeles. Un an après, deuxième mariage dans le Maine : celui de leur fille. Et les deux époux - seulement séparés -  se retrouvent lors d’une fête aux multiples et cocasses rebondissements.

Si le roman comporte une réflexion sans complaisance sur la transmission familiale, les blessures de l’enfance que Jack essaie d’exorciser par le récit d’un épisode sous forme de nouvelle, sur la liberté de choisir sa vie, il est également plein d’humour. Il est aussi tendre que grinçant, romantique que drolatique. Les scènes de comédie empruntent à tous les registres, y compris l’humour noir quand Jack doit disperser les cendres de ses parents. On verrait bien le personnage qui est scénariste, se mettre en scène lui-même dans un film de Woody Allen, pour le plus grand plaisir des lecteurs-spectateurs.


Un autre amour


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Kate O’Riordan qui vit à Londres est considérée comme une des voix incontournables de la littérature irlandaise. Le titre original de ce roman : « Loving him » est plus révélateur que sa traduction française, car il est plus centré sur l’homme dont Connie est amoureuse. Elle est mariée à Matt Wilson qu’elle aime depuis l’enfance. Venus de Consett dans le Nord, issus de milieux modestes, ils ont bien réussi dans la vie. Matt est dentiste, Connie travaille, avec son inséparable amie Mary, à la réalisation de cartes de vœux personnalisées, y compris pour les ruptures sentimentales. Ils ont trois beaux garçons : Fred, l’aîné,  très mûr pour son âge, Joe, l’ado provocateur et Benny, fragile, écolo et sensible. Le couple part à Rome, pour un week-end en amoureux. Et c’est là que Matt retrouve, comme un fantôme venu du passé, la fantasque et belle Greta, son premier amour, en proie à une profonde dépression. Il ne peut la quitter et Connie rentre seule à Londres. Elle tente courageusement de faire face à la situation en expliquant diversement, selon ses interlocuteurs, l’absence de son mari.

Kate O’Riordan raconte avec réalisme, par petites touches, avec des dialogues qui sonnent juste et nous touchent ou nous amusent, car l’humour côtoie l’émotion, comme dans la vie. Outre l’histoire de ce couple dont on suit avec intérêt les péripéties, il y a de beaux portraits de femmes, tout en nuances : Connie d’abord dont le personnage attachant d’épouse amoureuse est plus complexe qu’il n’y paraît ; Greta, belle, extravagante et pitoyable car brisée par un drame ; Mary, l’amie fidèle dont la seule source d’intérêt est la vie familiale de Connie à laquelle elle se sent intégrée. On voit le passé revenir en force dans le présent pour en lézarder la façade heureuse que les protagonistes avaient cru tellement solide. Et le suspens psychologique demeure intact jusqu’à la dernière page de ce roman attachant qui paraît si vrai qu’on en quitte à regret les personnages livrés à un destin qui nous échappe.


 Les tendres plaintes


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Ecrit en 1996, le roman de Yoko Ogawa n’est paru que récemment en France mais il contient déjà tous les éléments constitutifs de l’œuvre de l’auteur et, en particulier, l’attention portée à la nature. Une jeune femme, Ruriko, quitte son foyer de Tokyo pour fuir un mari violent et infidèle. Elle se réfugie dans son chalet familial en pleine forêt. Seule, elle va pouvoir se retrouver et pratiquer son métier, la calligraphie. Mais sa solitude ne sera pas totale. Près de chez elle, vit Nitta, ancien pianiste, facteur de clavecins, aidé par une belle et énigmatique jeune femme, Kaoru. Entre ces trois personnages, l’amitié et l’amour joueront un rôle aussi grand que la musique entendue tout au long du roman dont le titre est celui d’un morceau pour clavecin de Jean Philippe Rameau. La création artistique- calligraphie d’un rocambolesque manuscrit par Ruriko, confection de clavecins magnifiques- intervient dans une nature dont l’auteur note avec une délicatesse d’aquarelliste, les moindres nuances liées aux changements de saison.                                  Tout nous transporte dans une bulle irisée, hors du temps, loin de la ville, et où l’art et les sentiments ont les premiers rôles.

                                                                                                                                                                         Michèle Castelli

«  Les sortilèges du Cap Cod » par Richard Russo, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy- Editions Quai Voltaire- septembre 2010- 21 €

« Un autre amour » par Kate O’Riordan, traduit de l’anglais (Irlande) par Florence Levy-Paoloni- Editions Joëlle Losfeld-septembre 2010- 22 €

« Les tendres plaintes » par Yoko Ogawa, traduit du japonais par Rose-Marie Makino et Yukari Kometani- Editions Actes Sud-juin 2010- 20€

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