Des falaises aux tranchées

Publié le par Michèle Castelli

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Les falaises, ce sont celles de Bonifacio près desquelles vit heureuse et insouciante la petite Louise, fille très aimée de son vieux père, veuf. Les tranchées, ce sont celles de la Somme où, une décennie plus tard, pendant la 1ère Guerre mondiale, elle va se risquer, au péril de sa vie, pour retrouver celui qu’elle aime. De l’azur, où flotte le cerf-volant échappé de ses mains au premier chapitre, aux ténèbres des couloirs creusés dans la terre de la Somme, du ciel à l’enfer... Voici un itinéraire surprenant et haletant auquel nous convie Elsa Chabrol avec La guerre de Louise. L’auteure, scénariste et réalisatrice de films de fiction et de documentaires, signe avec ce livre son deuxième roman.


Une enfance à La Pièva


« Il fait beau en ce jour de funérailles. Le maquis sent bon. » Dès les premières phrases, le ton est donné qui marquera le roman. Les épreuves terribles sont là mais l’appel de la vie est plus fort. Louise- la narratrice- perd sa mère alors qu’elle n’a que quatre ans et ne garde de l’enterrement que des souvenirs confus. Désormais, elle va vivre avec son père et sa « nounou » Nunzia, une taciturne et mystérieuse vieille femme qui lui est totalement dévouée.

Son père a épousé, sur le tard, une jeune femme morte très tôt. A l’âge d’être grand-père, il se retrouve avec une petite fille qu’il va éduquer selon des préceptes originaux, peut être influencés par la philosophie de Rousseau et sa confiance dans l’être essentiellement bon qu’est l’enfant. Il faut dire que cet homme, Jules Steinberg, inspiré à l’auteure par la personnalité de son arrière grand-père, Jules Lang, est un homme d’exception. Ancien ingénieur de Ferdinand de Lesseps, il a participé à la construction du Canal de Panama. Habité d’une croyance inébranlable dans les idées humanistes, attaché à défendre la justice sociale et la paix, sensible aux injustices, il est devenu, au fil des ans, un notable de Bonifacio. « Un peu juge, un peu médecin, un peu avocat, un peu pacificateur. » En s’installant dans le domaine de La Pièva, il y a développé une entreprise agricole prospère « à l’activité foisonnante », lui permettant de vivre en autarcie. A la mort de sa femme, il abandonne peu à peu la gestion du domaine, se contentant de vivre dans sa belle maison en s’occupant de sa fille et de ses expériences scientifiques. Louise ne va pas à l’école mais acquiert, grâce à des méthodes d’apprentissage ludiques, une grande culture pour une enfant de son âge.

Un troisième personnage vit -épisodiquement- à La Pièva : Julien, cousin de Louise, un orphelin que Jules Steinberg a recueilli et auquel elle voue « une véritable adoration ». Mais Julien, pensionnaire à Sartène puis à Ajaccio pendant l’année scolaire, ne vient que pendant les vacances.


Loin du Paradis


Peu à peu l’horizon s’obscurcit : L’exploitation délaissée périclite, les dettes s’accumulent, la guerre menace. Julien que Louise aime maintenant d’amour, et dont elle espère devenir la femme, est mobilisé le 2 août 1914.

«  Julien partit donc le soir même.

C’était un dimanche.

Et la guerre commença. »

 

Le domaine agricole se vide « du peu d’hommes qui lui restait. » La vie devient difficile. Julien, étudiant sursitaire, est envoyé avec le grade d’aspirant à Verdun. Louise lui écrit tous les dimanches. Le 11 juin 1915, Jules Steinberg meurt subitement. La vie bascule pour Louise, âgée de 15 ans. Ruinée, elle doit quitter La Pièva. Mais son père lui a transmis, en héritage, sa foi dans l’humanité, son courage auquel elle va ajouter une totale inconscience du danger, une naïveté désarmante et un caractère bien affirmé. Les épreuves commencent pour elle et quelles épreuves ! Et vous allez être étonnés, inquiets, bouleversés, amusés aussi car elle ne manque pas d’humour même dans les situations les plus dramatiques !

Pour Julien qu’elle recherche loin de la Corse et qui ne répond plus à ses lettres, elle parcourt la France. De Nice, où elle a trouvé une place de gouvernante dans la famille haute en couleurs d’un général, jusqu’aux hôpitaux de fortune du front, dans la Somme. Divers personnages traversent le récit, apportant chacun une touche à une fresque de la France en guerre dont la peinture réaliste des horreurs du front, de ses morts et de ses blessés, est impressionnante. L’impétueuse Louise, telle la Scarlett 0’Hara d’Autant en emporte le Vent, franchit les étapes sans se départir de sa prodigieuse énergie vitale et sans trop prendre le temps de la réflexion, jusqu’aux derniers rebondissements...plutôt surprenants !

On visualise très bien les scènes grâce aux descriptions précises. On avance dans l’histoire au rythme d’une écriture efficace, faite de phrases courtes et on entend parler les personnages dans de nombreux dialogues bien rendus. On s’émeut devant la détresse et la souffrance des soldats, l’atrocité de la guerre. On tremble pour Louise mais, comme elle, on garde  espoir.

Et on ne referme ce livre qu’après en avoir dévoré les pages, entraîné par la narratrice dans une course effrénée, mue par le goût de la vie et la poursuite de l’amour ou de ses chimères.

                                                                                                                                                                      Michèle Castelli

-    La guerre de Louise, par Elsa Chabrol- Editions Belfond, février 2011- 18 €


Article paru dans La Corse votre hebdo le 22/04/11

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