Vrai chic et faux-semblants
Une villa de rêve au Cap d’Antibes, des maisons superbement aménagées et donnant sur un square privé dans Notting Hill, le quartier le plus snob de Londres : voilà les demeures d’exception où nous invitent deux jeunes romancières. Les occupants : habitants, voisins, visiteurs nous réservent un accueil surprenant et l’humour et la dérision assurent la visite guidée.
La magie de l’Agapanthe
Laure, une jeune femme trentenaire, psychanalyste, divorcée et mère d’un petit garçon est la narratrice du roman Les Prétendants de Cécile David-Weill. Elle et sa sœur, Marie, célibataire, sont les filles de parents très aisés qui, entre autres biens immobiliers, possèdent une fabuleuse maison, l’Agapanthe, au Cap d’Antibes. Elles y ont passé toutes leurs vacances, depuis leur enfance. On ne peut rêver séjour plus idyllique, tellement tout concourt à le rendre parfait. D’abord, la beauté des lieux. La maison, « villa méditerranéenne construite autour d’une véranda, tel un monastère autour de son cloître », est prolongée par un jardin qui « invite à la rêverie », grâce à un « agencement rigoureux des espèces » : oliviers, cyprès, pins, lavandes plantés harmonieusement jusqu’à « l’ouverture de la haie », où l’on aperçoit « un triangle de mer...tel un point de fuite vers l’horizon ».
A l’intérieur, tout n’est que raffinement et luxe mais sans ostentation. De plus, le maître de maison, cultivé et mondain, veille à ce que ses invités puissent « jouir de la beauté de la maison, de ses œuvres d’art, de sa bonne chère, comme de ses conversations ». Le personnel, nombreux, assure un service vigilant. Ainsi, les menus et bouquets de fleurs sont de véritables œuvres d’art. Tous les étés, les convives, outre le petit noyau de fidèles dont le choix est longuement discuté en famille, passent des week-ends inoubliables.
Pour Marie et Laure, l’Agapanthe est beaucoup plus qu’un lieu, elle fait partie de leur identité, là où s’est construite leur personnalité, influencée par les « codes » de bon goût culturel et d’un savoir-vivre épicurien et raffiné. S’il est autant question de cette maison, c’est que la brusque décision prise par les parents de la vendre, en raison d’un entretien trop lourd, bouleverse les deux sœurs. Sur les conseils d’un ami, elles vont alors faire passer un casting à des « prétendants » ( au sens de ceux de Pénélope, dans l’Odyssée ) pour trouver le mari milliardaire qui rachètera la maison et ainsi la conservera dans la famille.
Le tout se déroule en trois week-ends, du 14 au 28 juillet. C’est une comédie de mœurs où Laure joue le premier rôle et décrypte les comportements des trois prétendants successifs et des autres invités appartenant soit à la haute bourgeoisie soit au monde des nouveaux très riches. De vrais et de faux « people », stars, banquiers, hommes d’affaires, journalistes se côtoient sous le regard impitoyable de la narratrice. En contrepoint, les références littéraires à Proust et à Fitzgerald éclairent ce jeu mondain de l’être et du paraître. Mais, sous la futilité du propos, se lit, en filigrane, la recherche de vraies relations humaines : la quête de l’amour et l’approfondissement des liens familiaux entre les parents et leurs enfants et entre les deux sœurs.
La conception du livre est originale. On y trouve un prologue où Laure évoque son enfance et présente la famille, la narration des trois week-ends et des ajouts constitués de listes (personnages, pièces de la villa, contenu des placards, menus, recettes...) Cela donne un côté ludique à ce livre, déjà fort drôle, comme les albums pour enfants où l’on va à la découverte de « trésors » dissimulés dans des cachettes, de page en page. Ironique, élégant, léger (mais moins qu’il n’y paraît), ce roman procure une lecture agréable et trouble les clichés d’une société où le luxe et l’argent remplacent souvent les richesses des relations humaines.
Enfer ou Paradis ?
L’Enfer est suggéré dans le titre original anglais : « Notting Hell » du roman Le Diable vit à Notting Hill . L’auteure, Rachel Johnson, éditrice du magazine « Lady », habite elle même le vieux Notting Hill et semble bien connaître le milieu de « super riches » qu’elle décrit dans son roman.
Deux narratrices font entendre leurs voix alternées : Clare, quadragénaire, passionnée de jardinage, épouse d’un architecte réputé dont la maison est la vitrine de la réussite sociale. Mimi, mère de trois enfants, pigiste, mariée à un consultant « vieille Angleterre », plus épris de pêche à la truite que de sorties mondaines. Leur maison offre un décor bohème et chaleureux, à l’image de la narratrice. Toutes deux vivent dans des maisons proches, donnant sur le même square privé. Leurs voisins, banquiers, milliardaires, hommes d’affaires américains sont les époux de femmes au foyer, « débordées » par leurs cours de yoga, de gym, l’organisation de réceptions et l’accompagnement des enfants à leurs très sélectes écoles privées. Le luxe tapageur voisine avec le culte du bio et la mise en pratique des conseils de leur coach de « feng shui ». L’histoire se déroule sur un an, le temps de découvrir que sous le « bling bling » étincelant, se trament de sombres intrigues.
L’auteure, dans ce récit drolatique, à l’humour décapant, décrit avec une férocité joyeuse l’apparence policée et l’envers cruel d’un monde où tout semble s’acheter.
Michèle Castelli
Les Prétendants par Cécile David-Weill- Ed.Grasset- Décembre 2009- 20€
Le Diable vit à Notting Hill par Rachel Johnson - Traduit de l'anglais par Daphné et André Bernard Editions de Fallois - 2010 - 19,80€